Dent du Chat (1390m)
La légende:
Jadis un pêcheur vivait là. Il avait
loué non loin du lac une modeste maison qu'il occupait avec sa femme et leurs
cinq enfants. Tous les sept subsistaient grâce au produit de sa pêche, qui était
très inégal. Quand il y avait abondance, le pêcheur vendait l'excès de poisson
au marché. Et ce qu'il en tirait permettait d'acheter de quoi manger les jours
de mauvais temps. Un matin, comme à l'accoutumée, le pêcheur partit de bonne
heure avec sa barque. A midi, malgré ses efforts, aucun poisson n'avait mordu à
son hameçon. Découragé, le malheureux leva les yeux et implora le ciel. Il
promit de rejeter à l'eau, en signe d'offrande, le premier poisson qu'il
attraperait. Il était persuadé que cela lui voudrait ensuite une bonne pêche.
A peine avait-il fait cette promesse qu'il sentit mordre à son hameçon.
Il souleva sa canne et tira de l'eau un énorme poisson. Il n'en avait jamais vu
d'aussi gros. Aussi regretta-il sa promesse. Il garda le poisson et continua de
pêcher. ‘Il sera toujours temps de rejeter le suivant si la pêche est vraiment
bonne', pensa-t-il. Il attrapa alors un poisson encore plus gros que le premier.
‘Rejette donc celui-là', lui murmura sa conscience. Mais il fit la sourde
oreille et lança encore sa ligne. Le fil se tendit aussitôt et la canne plia. Le
poids était tel qu'il craignit qu'elle ne se brisât. Il tira de toutes ses
forces et sortit du lac un gros chat noir qui se débattait. Il décrocha l'animal
et le posa au font de sa barque.
Il lança de nouveau sa ligne. Mais la chance avait tourné, car plus rien
ne mordit. En fin de journée, le pêcheur rama jusqu'à la berge. A eux seuls, les
deux poissons remplissaient son panier. Il saisit l'anse d'une main, sa canne de
l'autre, mit le chat sous son bras et rentra chez lui en sifflotant. Sa femme le
félicita pour les poissons, qu'elle se mit aussitôt à vider. Quant au chat, elle
voulut s'en débarrasser. Mais les enfants s'y opposèrent et l'adoptèrent.
Dès lors, le pêcheur n'attrapa jamais plus le moindre poisson ? Était-ce le ciel
qui le punissait de n'avoir pont tenu sa promesse ou jouait-il simplement de
malchance ? Il s'obstina plusieurs mois et finit par abandonner. Il vendis sa
barque et chercha un autre métier. Le hasard fit de lui un bûcheron. Le chat
grossit et devint agressif. Il griffait sans cesse les enfants et il lui
arrivait même de les mordre. Il fallut s'en séparer. Le père était
superstitieux. Il n'osa le tuer par crainte de malédiction. Il mit l'animal dans
un sac et l'emmena très loin dans la montagne. Là-haut il le lâcha et le chassa
à coups de pierres. Puis il prit la fuite.
Le chat ne revint plus chez l'ancien pêcheur. Mais il fit parler de lui
dans la région. Il devint énorme. Il s'attaqua aux troupeaux, aux chiens et
parfois même aux femmes et aux enfants. Les gens étaient terrorisés et n'osaient
plus sortir. Le mauvais sort s'acharna sur l'ancien pêcheur. Il se blessa d'un
coup de hache maladroit. Il perdit son emploi de bûcheron. Et un matin, on le
retrouva égorgé devant sa maison, avec sa femme et leurs cinq enfants. C'était
l'oeuvre du chat du lac. Ce dernier avait continué de grossir. Il avait atteint
la taille d'une panthère. Et il s'attaquait sans crainte aux hommes les plus
robustes. Il avait élu domicile dans une grotte, donnant sur le col
qu'empruntaient les voyageurs se rendant au lac du Bourget.
Il se jetait sauvagement sur eux et les dévorait. Mais il ne les mangeait pas
tous puisqu'il ne s'attaquait aux voyageurs qu'a raison de un sur dix. Il en
laissait donc passer neuf et mangeait le dixième.
Les habitants de la région veillaient à ne jamais franchir le col en
dixième position. Seules les étrangers ignorant l'habitude du chat étaient
dévorés. Un jour, un soldat originaire du Bourget rentrait chez lui. Il prit le
chemin du col. Des paysans l'informèrent qu'il était le dixième depuis la
dernière victime du chat. Comme il avait hâte de rentrer pour retrouver sa
fiancée, il décida d'affronter l'animal. Il était armé et courageux. Au détour
du chemin, il aperçut le redoutable chat noir qui le guettait. Il fit halte,
saisit calmement son arquebuse, visa et tira. Il toucha l'animal en pleine
poitrine, lui arrachant un hurlement effroyable. Le militaire rechargea
rapidement son arme, tira encore et atteignit l'animal en pleine tête. Le chat
tomba à la renverse, roula sur les pentes abruptes de la montagne et disparut
dans les eaux profondes du lac. Le soldat fut acclamé comme un héros et son
exploit fêté dans tout le pays. C'est depuis ce jour que la montagne a été
appelée Dent du Chat.